Bilan des féminicides en 2024

Bilan des féminicides en 2024

315 féminicides en Algérie depuis 2019 : Une violence continue nécessitant une intervention urgente !

De 2019 à 2024, nous avons enregistré un total de 315 féminicides en Algérie, répartis comme suit :

Ces féminicides ne sont pas exhaustifs, ils représentent les cas recensés. Le chiffre réel est bien plus élevé.

Chiffres 2024 et état des lieux

Lien entre les auteurs et les victimes

Nos statistiques montrent que la majorité des auteurs des féminicides sont des personnes connues des victimes. La proportion des crimes commis par des conjoints ou Ex-conjoints représente 42,6% (36,2% sont des conjoints et 6,4% des Ex-conjoints).

Les membres de la famille représentent 27,7% des auteurs : les pères (8,5%), les fils (8,3%), les frères (4,3%), les petits-enfants (2,1%), les cousins (2,1%) et les beaux-parents (2,1%).

Les autres féminicides (29,8%) ont été commis par d’autres, tels que les voisins, les agresseurs ou les voleurs.

Ces taux se rapprochent de ceux publiés dans le rapport Féminicides en Algérie : meurtre des femmes et des filles 2019-2022, sur une analyse de quatre ans. Les partenaires et ex-partenaires, ainsi que les proches sont ceux qui violentent le plus les femmes, la finalité extrême de ces violences est le féminicide. Ils ont lieu souvent après des années voir des décennies de violences, parfois lors de la séparation avec le conjoint ou même suite à un divorce. 

Lieux du crime

La majorité des féminicides de femmes se produisent encore à l’intérieur des domiciles, avec une part de 89,4%, dont  40,4% ont eu lieu dans le foyer conjugal et 42,6% dans le foyer familial. Environ 4,3% des crimes se sont produits sur le lieu de travail des victimes. En revanche, 8,5% des crimes ont eu lieu à l’extérieur, tandis que le lieu de 2,1% des crimes reste inconnu.

Le lieu du crime est lié avec le lien entre la victime et l’assassin, comme la plus grande partie des assassins est le partenaire ou ex, ainsi que les membres de famille, le crime a souvent lieu dans le domicile conjugal ou familial. Même si la rue reste un endroit hostile pour les femmes, de par le harcèlement sexuel, les agressions verbales, sexuelles et physiques qui s’y produisent, reste que les foyers sont les endroits où ces violences sont le plus présentes, et où de nombreuses femmes sont obligées de cohabiter avec leur(s) bourreau(x). 

Armes utilisées

Dans 66% des cas de meurtres, des armes ont été utilisées, notamment le couteau dans 46,2% des cas. D’autres armes comme le marteau représentent 15,4%, la hache 11,5%, et les cas où plusieurs armes ont été utilisées représentent 7,7%. Des armes à feu ont été utilisées dans 3,8% des cas, ainsi qu’une carabine à chasse dans 3,8% des cas.

Méthodes de meurtre et armes utilisées

La méthode la plus utilisée pour commettre ces féminicides est le coups de poignard, représentant 31,9% des cas, suivi des coups avec 23,4%. Ensuite, le meurtre par égorgement et étranglement représente 8,5% chacun. Les meurtres par arme à feu représentent 4,3%, et les cas de meurtres par écrasement avec une voiture 2,1%. Des informations manquent pour 21,3% des cas. L’utilisation d’armes laisse peu de chance de survie à la victime, et réduit sa possibilité de se défendre.

Dans les meurtres par coups, 90,9% des cas visent la tête, tandis que 9,1% ciblent le dos.

Nombre d’enfants

59,6% des victimes étaient mères avec au moins un enfant, dont une était enceinte au moment du crime.

21,3% des victimes n’avaient pas d’enfants, tandis que 6,4% étaient trop jeunes pour procréer. Dans 12,8% des cas, les informations ne sont pas disponibles.

Doubles féminicides

En 2024 seulement, nous avons recensé un total de 48 cas de féminicides dans différentes wilayas et régions de l’Algérie, dont cinq cas de doubles féminicides où deux femmes ont été tuées dans chaque incident :

  1. Wilaya de Mostaganem, le 21 janvier, un homme a tué son ex-femme « Nawal Charifa Toubeche » et son ex-belle-mère « Hafida ». Il a également tué son ex-beau-père et son fils.
  2. Wilaya de Constantine, le 8 mai, un homme a tué sa sœur « Djamila » et sa mère.
  3. Wilaya de Constantine, le 25 septembre, un homme a tué ses deux filles « Malak » et « Imane »
  4. Wilaya de Batna, le 20 décembre, un homme a tué une femme et sa fille.
  5. Wilaya de Sétif, le 23 décembre, un homme a tué sa femme « Lamia Daamouche » et sa fille. 

Survivantes de tentatives de féminicides

 Au cours de la même année, nous avons recensé sept (7) cas de femmes ayant survécu à des tentatives de féminicides. Le dernier en date concerne deux étudiantes universitaires, Imane et Manel, qui ont été victimes d’une agression perpétrée par un chauffeur de l’application de transport « Indrive ». Ce dernier les a retenues de force dans le véhicule, les emmenant vers un endroit isolé avant de brandir un couteau à leur encontre. Les victimes ont survécu après que l’agresseur a remarqué la présence d’un groupe de personnes près du lieu de l’agression. Elles ont déposé une plainte auprès des services de sécurité, mais l’agresseur n’a pas été incarcéré.

Auparavant, le 22 mai 2024, un homme a tenté de tuer sa sœur, « Oum Bissan », une quadragénaire résidante à Laghouat. La scène du crime a été diffusée en direct sur Instagram en présence de la fille de la victime. Le tribunal de première instance a condamné l’agresseur à 15 ans de prison ferme le 29 octobre 2024. Le criminel a été considéré par de nombreux internautes comme un « héros », faisant sonner l’alarme face à une misogynie extrême, où il est encouragé de « punir » les femmes qui vivent leur vie, et entretient l’idée que l’homme peut tout faire, dont punir n’importe quelle femme, surtout les femmes de sa famille, qui transgressent certaines règles établies. Cela creuse encore plus les inégalités entre hommes et femmes, et entretient l’idée que cette punition peut aller jusqu’au meurtre. Nous rappelons que les crimes dits « d’honneur » sont en réalité des féminicides, non pas liés à l’honneur mais à la possession et à des idées esclavagistes. 

Procès liés aux féminicides

 Au cours de la même période, 33 procès liés à des crimes de féminicides ou à des tentatives de féminicides ont été enregistrés à travers différentes wilayas du pays (66,7 % en première instance et 33,3 % en appel).

  • À la fin de l’année 2024, le procès des assassins de Chaïma Saâdou a marqué les esprits. La Cour de Boumerdès a condamné Abdel Salam Bouchelagui, principal accusé, à la peine de mort, et a infligé une peine de 25 ans de prison ferme à son complice. Les accusés ont été poursuivis pour meurtre avec préméditation, torture accompagnée d’actes barbares, et viol. Rappelons que Chaïma Saâdou, âgée de 19 ans, a été assassinée le 1er octobre 2020 dans la wilaya de Boumerdes par l’auteur principal, qui l’avait déjà violée lorsqu’elle était mineure.
  • En 2024, un verdict en appel choquant a été rendu dans l’affaire du féminicide de Racha Ziane, également âgée de 19 ans. La victime a été tuée par son père le 23 février 2023. La Cour criminelle d’appel de Dar El Beïda (Alger) a réduit la peine de l’assassin à 8 ans de prison ferme, après que le tribunal de première instance l’a condamné le 8 mai 2024 à 15 ans de prison ferme.

Tentatives de dissimulation des féminicides et de manipulation de la justice

 Dans de nombreux féminicides, les criminels recourent à diverses méthodes pour manipuler la justice et camoufler leurs actes, cherchant à dissimuler la vérité et détourner les soupçons. Ces stratégies incluent le fait de faire croire aux familles des victimes, aux autorités et à l’opinion publique que les victimes se sont suicidées, de brûler les corps et les scènes de crime, ou encore de cacher les cadavres.

  • 21 janvier 2024, wilaya de Mostaganem : Un homme a tué son ex-épouse, Nawal Cherifa Toubeche, ainsi que ses beaux-parents et son fils, avant de mettre le feu à la maison pour faire croire à un accident.
  • 5 avril 2024, wilaya d’Oran : Un groupe d’hommes a tué Cherifa J.  lors d’un cambriolage. Ils ont ensuite tenté de dissimuler son corps en l’enterrant dans le jardin de sa maison.
  • 6 avril 2024, wilaya de Sétif : Un homme a tué son épouse, Hanane Kouihel, avant de transporter son corps près d’une voie ferrée, où il l’a enveloppé de laine et y a mis le feu.
  • 9 avril 2024, wilaya d’Alger : Un homme a tué son épouse d’un coup de marteau sur la tête, puis a jeté son corps du balcon pour faire croire à un suicide.

La maladie mentale comme prétexte pour justifier les crimes 

Certains cherchent à justifier les féminicides en prétendant que les auteurs souffrent de troubles mentaux et n’étaient pas conscients de leurs actes au moment du crime. Ce prétexte est souvent relayé par les médias, sur les réseaux sociaux ou par les familles des auteurs. Cependant, la loi exige une expertise médicale pour évaluer l’état mental de l’accusé au moment des faits. Les rapports médicaux révèlent souvent que les auteurs étaient pleinement conscients et responsables de leurs actes, dénonçant ces allégations comme une tentative d’échapper à la justice.

  • 6 février 2024, wilaya de M’sila : Un homme a tué la petite Loubna M., âgée de 6 ans. Bien que la presse ait affirmé qu’il était atteint de troubles mentaux, les rapports médicaux ont prouvé qu’il était en pleine possession de ses facultés et pénalement responsable.
  • 29 novembre 2024, wilaya de Chlef : Un homme a tué sa fille de 3 mois. Les médias ont rapporté qu’il souffrait de troubles psychiques, mais aucune preuve n’a confirmé ces affirmations.
  • 23 décembre 2024, wilaya de Sétif : Un homme a tué son épouse, Lamia Daamouche, ainsi que sa fille de 12 ans, et blessé son fils de 6 ans. Bien que le père et le frère du meurtrier aient déclaré aux médias qu’il était mentalement instable, des proches de la victime ont affirmé qu’il l’avait maltraitée pendant des années.

Auteur et femmes âgées vivant seules

En 2024, nous avons observé des féminicides visant les femmes âgées vivant seules. Les auteurs profitent souvent de la vulnérabilité sociale et de l’isolement de ces femmes pour commettre des crimes, généralement pour voler leurs biens, mais aboutissant fréquemment à des meurtres. Ces actes illustrent l’absence de protection adéquate pour cette catégorie vulnérable dans notre société. Il est urgent que les autorités et la société civile s’attaquent à ce phénomène par des mesures préventives, des actions d’accompagnement et une sensibilisation accrue.

Les médias et leur rôle dans la couverture des féminicides

Nos statistiques reposent principalement sur les rapports et les informations publiés par les médias locaux. Cependant, nous avons constaté, ces deux dernières années en particulier, une diminution constante de la couverture médiatique de ces crimes.

Par exemple, certaines crimes commis en 2024 n’ont pas été couverts :

  • Le meurtre de Nerimane Bouzidi, tuée par son mari le 26 janvier 2024 dans la wilaya de Boumerdes.
  • Le meurtre de Djamila Aouicha, tuée par son fils le 16 juillet 2024 dans la wilaya de Constantine.

De plus, le suivi des informations liées à ces crimes présente de nombreuses lacunes, la plupart des journalistes se contentant de rapporter l’information de base sans approfondir les détails ou mener des enquêtes.

Concernant la couverture des procès, certains médias mettent en lumière les affaires pendant les audiences, mais omettent souvent de couvrir les verdicts. Par exemple :

  • Le procès des assassins de la jeune fille H.M., âgée de 16 ans, qui s’est tenu le 25 septembre 2024 au tribunal criminel de Annaba. Le procès a été reporté, et aucun suivi des décisions rendues n’a été publié.
  • Le procès de deux hommes ayant tenté de tuer Mme Asia H., âgée de 44 ans à Alger, qui a eu lieu le 14 juillet 2024, sans que les détails du verdict ne soient relayés.

Conclusion

Les féminicides représentent une forme extrême de violence fondée sur le genre, souvent résultant de cycles de violences antérieures ignorées. Ces crimes exigent une réponse politique urgente, la révision des législations, un soutien accru aux victimes et une politique sociale et éducative rigoureuse pour aborder les causes profondes de la violence envers les femmes. L’introduction de sanctions contre les formes préliminaires de violence peut jouer un rôle préventif crucial.

De plus, il est essentiel de garantir une protection et un soutien appropriés aux femmes victimes de violences ainsi qu’à leurs enfants. Les institutions éducatives et les forces de sécurité doivent être formées à une approche humaine et efficace des cas de violence contre les femmes.

Les médias et les autorités doivent également jouer un rôle crucial dans la sensibilisation, avec des politiques intégrées basées sur des données statistiques et une surveillance continue pour développer des stratégies de prévention efficaces. L’objectif ultime est de bâtir une société plus juste où les femmes peuvent vivre avec dignité et sécurité.

Grâce à ces efforts conjoints, nous pouvons œuvrer vers un avenir débarrassé de la violence sexiste.

Collectif Féminicides Algérie